A Napoleonic plan for the invasion of England by French troops and navy. 1803

Sur Terre et (sous) Mer

En 1927, l’année précédant le voyage d’Eric Blair de Londres à Paris, la compagnie A.L.A (Alsace Lorraine Angleterre) a commencé à exploiter une liaison pour passagers entre Tilbury et Dunkerque. Un navire à vapeur réaménagé assure le voyage du futur écrivain et les brochures vantent l’accès facile aux champs de bataille en Flandre et aux stations balnéaires du nord de la France. Mais d’autres moyens d’atteindre les côtes françaises , plus ambitieux, avaient été imaginés dès le début des années 1800. La plupart des tentatives visant à surmonter les difficultés techniques liées à la construction d’un tunnel sous la Manche n’ont jamais dépassé le stade de la planche à dessin. Les ingénieurs du XIXe siècle semblaient plus préoccupés par le problème de l’entrée de l’air (et, plus tard, de l’évacuation de la fumée des machines à vapeur) que par la tâche quasi biblique du forage et du terrassement.

Illustration of Ventilation shafts needed in proposed channel tunnel construction Dover to Calais.
Dessin de Sir John Hawkshaw. Système de ventilation sous-la-manche. 1866

Malgré les problèmes inhérents à la construction, le manque d’investisseurs et l’abondance de détracteurs, en 1880, les pelles (ou dans ce cas, deux tunneliers pneumatiques Beaumont) sortent enfin et les travaux commencent pour de bon. Le résultat est un tunnel d’un kilomètre de long, dont l’entrée se trouve dans les falaises de craie, juste à l’extérieur de Douvres. Sir Edward Watkin était chargé de ce projet, que beaucoup, y compris la reine Victoria, considéraient comme une menace pour la sécurité nationale. Ce pair du royaume avait construit des chemins de fer dans une grande partie de l’Angleterre, siégeait au conseil d’administration de compagnies ferroviaires françaises et envisageait de relier le réseau britannique à ceux de l’Europe continentale. Il était convaincu que le commerce britannique, et les industries du Nord en particulier, bénéficieraient grandement d’un meilleur accès au marché continental. Son rêve se heurte à une opposition très virulente, qui estime qu’un tunnel ne ferait qu’accroître la probabilité d’une invasion française.

Le pacte Briand-Kellogg

En 1928, 63 pays se sont réunis pour signer un accord historique mettant fin à toute guerre : le pacte Briand-Kellogg ou pacte de Paris. Il s’agit en soi d’une réussite diplomatique extraordinaire, et peut-être que la lueur d’optimisme (relativement éphémère) suscitée par cet événement est en partie à l’origine de l’idée d’un tunnel sous la Manche, évoquée une nouvelle fois par le gouvernement britannique en janvier 1929. Une transcription des échanges au Parlement britannique sur ce sujet montre que l’idée est prise au sérieux, même si les préoccupations habituelles concernant les frontières et la défense nationale constituent manifestement un point d’achoppement.

M. Thurtle – Membre de Shoreditch
…de l’avis de cette Chambre, la construction d’un tunnel sous la Manche serait avantageuse à la fois pour ce pays et pour l’Europe dans son ensemble, et la main-d’oeuvre et les matériaux nécessaires à la construction du tunnel y augmenteraient l’emploi productif ; par conséquent, compte tenu des nouvelles circonstances résultant des développements diplomatiques en Europe au cours des dernières années, la Chambre invite le gouvernement à saisir rapidement l’occasion de reconsidérer son attitude à l’égard de ce projet.

Le Premier Ministre
Compte tenu du grand intérêt du public pour le projet de tunnel sous la Manche, le gouvernement est parvenu à la conclusion que le moment est venu de réexaminer la question en profondeur. Nous tenons à ce que les aspects économiques de la question fassent l’objet d’un examen très approfondi, afin qu’ils puissent être mis en balance avec les considérations relatives à la défense impériale…

M. Thurtle
Dois-je comprendre du Premier ministre que sa proposition est, en fait, que la question soit à nouveau soumise à l’examen du Comité de la défense impériale ?

Le Premier ministre
 Je n’ai pas donné de détails sur la forme que prendra cet examen, mais il est parfaitement évident que, du point de vue de la défense par opposition au point de vue économique, le Comité de la défense impériale doit être consulté.

M. Thurtle
…il existe dans le pays un très large courant d’opinion qui estime que le dernier mot en la matière ne doit pas nécessairement revenir au Comité de la défense impériale?


M. Bromley – Député de Barrow-in-Furness
…a-t-on déterminé avec certitude la profondeur maximale de la Manche sous laquelle le tunnel proposé devrait passer, et à quelles pentes le chemin de fer, à vapeur ou électrique, devrait circuler?

Le Premier ministre
C’est exactement l’une des cent questions auxquelles j’aimerais obtenir une réponse.


Une fois de plus, le projet n’a pas dépassé le stade de la recherche, et lorsque les préoccupations liées au réarmement allemand sont devenues plus pressantes au cours des années 1930, les plans ont été mis de côté pour une durée indéterminée. Bien que l’idée ait parfois refait surface au parlement dans les années 1960 et 1970, les récessions économiques et les problèmes intérieurs plus pressants des deux côtés de la Manche ont fait que 108 ans ont séparé la tentative initiale de Sir Edward Watkin du début des fouilles, en 1988.

J’ai fait un rêve…

Malgré toutes les merveilles technologiques du tunnel et la commodité indéniable pour des millions de voyageurs, la réalité de l’Eurostar ne pourra jamais être aussi charmante que la vision fantaisiste de George Méliès dans son film de 1907 Le Tunnel sous la Manche ou Le cauchemar franco-anglais, dans lequel le président français et le roi anglais partagent littéralement le même rêve (et le même cauchemar !) dans lequel ils se serrent la main de l’autre côté de la Manche alors que les travaux du tunnel se déroulent sous leurs pieds et qu’au-dessus, les poissons français et anglais se saluent chaleureusement dans la mer.

Duncan Roberts
Traduction – Nicolas Ragonneau

Sources
Débat au Parlement britannique du 22 January-1929 vol 224 cc20-220 – Extrait condensé.
Musée Maritime et Portuaire, Dunkerque
The History of the Channel Tunnel – Nicolas Faith. 2018
Sir Edward Watkin: The last of the railway Kings – John Neville Greaves. 2005

L’image principale : Plan d’invasion Napoleonien d’Angleterre par mer et tunnel sous-la-manche. 1803