Coquin vs Coquin legal case

Chercher Orwell sur la mauvaise branche…

Avant de découvrir le véritable emplacement du restaurant russe où Orwell et le capitaine russe travaillaient à la fin de 1929, mes recherches se sont concentrées pendant un certain temps sur un établissement situé au numéro 42 de la rue du Commerce et tenu par une certaine Madame Coquin. J’ai finalement décidé de supprimer l’histoire qui va suivre dans la version définitive de mon livre lors de l’une des nombreuses réécritures, mais cette histoire est trop belle pour rester enfouie dans les archives…

La loi française stipule qu’il est interdit de consulter les documents de divorce tant qu’un archiviste n’a pas vérifié qu’ils ne contiennent pas d’informations sensibles susceptibles de concerner les descendants. Ce jour-là, aux archives de Paris, j’ai donc assisté à la lecture des tomes qui ont été transportés dans une pièce séparée. À travers la vitre, j’ai vu les sourcils de l’archiviste se lever, puis s’abaisser, puis se relever à nouveau tandis qu’un sourire se dessinait sur son visage. Lorsqu’elle a tourné la page, elle avait du mal à réprimer ses rires et s’était mis une main sur la bouche. Lorsqu’elle m’a finalement apporté les documents, elle se mordait la lèvre et, alors qu’elle retournait à son bureau, un collègue au caractère bien trempé l’a réprimandée pour avoir trouvé amusant le malheur des autres.

La mauvaise Madame Coquin

J’ai tout de suite compris que la procédure de divorce que j’avais demandée ne concernait pas la Madame Coquin que je cherchais : il ne s’agissait pas de la restauratrice et elle n’avait aucun lien de parenté direct avec elle. Dans ma précipitation, j’avais suivi la mauvaise lignée familiale et j’avais maintenant des dossiers qui n’avaient rien à voir avec mes recherches ; c’était une perte de temps. Mais comme il fallait attendre encore 30 minutes avant que les bons dossiers soient sur mon bureau, et que la réaction des archivistes m’intriguait au plus haut point, j’ai ouvert le dossier qui se trouvait devant moi et j’ai commencé à lire…

En 1925, Monsieur Charles Coquin demande le divorce à Suzanne Berthe Coquin, son épouse depuis quinze ans. Alors que Charles est parti combattre lors de la Première Guerre mondiale, Suzanne a su combler son ennui en traînant dans les cafés et les bars de Belleville et en fréquentant, comme le dit Charles dans sa déclaration au juge, « des gens de mauvaise vie et des types peu recommandables ». Il affirme que sa femme a démontré un comportement et une attitude qui l’ont profondément choqué à son retour du front. Depuis lors, il a demandé à plusieurs reprises à sa femme de modérer son langage et de s’abstenir de chanter des chansons paillardes dans la maison. Le juge, quelque peu perplexe à l’idée que des chansons obscènes puissent constituer l’unique motif de divorce de Charles, lui demande (sans doute avec un clin d’œil) s’il n’y a pas d’autres raisons à son mécontentement. Madame Coquin a-t-elle été infidèle, par exemple ? « Oh oui, bien sûr, répond Charles, elle a eu plusieurs amants pendant que j’étais à l’armée et même un régulier qui s’appelle Louis. Mais là n’est pas le problème… ce sont les chansons que je ne supporte pas. » Le juge l’informe que le fait que sa femme chante des chansons paillardes n’est pas un motif suffisant pour divorcer et il rejette l’affaire comme il se doit. Accroché, et ne voulant pas en rester là, j’ai demandé le deuxième des trois dossiers concernant la mauvaise Madame Coquin et son mari Charles.

1927

Le dossier n°2 arrive sur mon bureau. Nous sommes en 1927, deux ans plus tard, et le couple est de retour au tribunal, cette fois sur requête de Suzanne qui demande elle-même le divorce à Charles. Elle est armée de lettres datant d’avant la guerre (et d’avant le chant) qui montrent que son mari était déjà malheureux dans son mariage. Grâce à cette correspondance, elle espère prouver que l’affirmation de Charles selon laquelle elle s’est livrée à des comportements salaces et lubriques est fausse et n’est rien d’autre qu’une basse tentative pour ruiner sa réputation. Le juge est manifestement exaspéré dès le début et semble décider qu’en fin de compte, prononcer le divorce est le meilleur moyen de se débarrasser du couple. Charles et Suzanne Coquin obtiennent donc le divorce et l’histoire semble s’arrêter là si ce n’est qu’une nouvelle audience figure à l’inventaire, cette fois-ci… pour agression.

1929

J’ai demandé le dossier n° 3 et j’ai attendu une demi-heure qu’il sorte des coffres. Lorsqu’il est arrivé, le troisième et dernier épisode de la saga Coquin allait bien au-delà de ce que je considérerais comme crédible si je regardais un film de fiction. Par conséquent, je ne peux l’imaginer que dans les cases d’une bande dessinée, avec des bulles pleines de VROOM ! en guise d’onomatopées et des casques et lunettes en cuir. Nous sommes en 1929 et Charles, remarié, se promène avec sa seconde épouse, la nouvelle Madame Coquin, dans un quartier chic de l’ouest parisien. Tout est paisible, jusqu’à ce qu’un véhicule à trois roues se rapproche à vive allure et tente de les écraser. Il s’agit de Suzanne et de son amant Louis sur une moto et un side-car.

 

Duncan Roberts 2024

Traduit de l’anglais par Nicolas Ragonneau

Sources : Les archives de la ville de Paris